NOUVEL HEBDO 12/18 AVRIL 2002


Trois questions à Bernard Benhamou, Maître de conférence pour la Société de l’Information à Sciences Po


Comment jugez-vous la place prise par les technologies de l'information dans le débat présidentiel ?

Le premier constat à faire est que tous les sujets politiques classiques sont aujourd'hui l’objet de changements liés aux technologies. De l'économie à la citoyenneté, en passant par la protection de la vie privée, l'éducation, la culture ou l'aménagement du territoire. Mais à l'évidence, les candidats ont considéré que les enjeux de la société de l'information n'étaient pas un élément clé de cette élection. Ces sujets ne sont pas encore assez clivants et surtout is ne mobilisent qu'une frange réduite de la population. Pour que la société de l'information suscite un véritable débat, il faudra que la montée en puissance des citoyens/internautes incite les responsables à s'en saisir. Et plus généralement il faudra que l’ensemble de la classe politique cesse de considérer l’Internet comme un élément cosmétique de la communication politique pour débattre enfin du devenir du réseau lui-même. La seule véritable surprise de cette campagne aura été la politisation d’une question pourtant très « pointue » (mais qui aura des conséquences durables sur l’Internet) celle des brevets logiciels.

La France a pourtant derrière elle cinq années d'action gouvernementale en faveur de la société de l'information ?

Le discours par Lionel Jospin à Hourtin en 1997 a constitué une véritable rupture. Mais par la suite, les arbitrages budgétaires (et donc les efforts politiques) n'ont pas permis de développer certains éléments clés de l’action gouvernementale. Dans ces domaines le départ de Dominique Strauss-Kahn aura été une perte importante. La période charnière se situant entre 1999 et 2000. Le temps du politique s'est alors heurté au temps (beaucoup plus long) des administrations. Au même moment, les acteurs publics n'ont pas imposé à France Telecom la mise en place un forfait Internet illimité sur la ligne téléphonique (ce que sa filiale Orange pratique outre-Manche). On a ainsi manqué une opportunité de diffuser plus largement cette culture des technologies de l'information auprès des citoyens. En l’absence d'un socle d’utilisateurs suffisant, le débat est resté confiné aux seuls "techno-instruits". Il n’a pas pris un tour réellement politique et l’on en est resté à des considérations générales sur la fracture numérique. En bref, le débat sur l'Etat-internaute n’a pas encore laissé place au débat sur le citoyen-internaute.

Quel est selon vous l'enjeu décisif de la société de l'information ?


L'enjeu fondamental de la régulation du réseau se résume à la question suivante : souhaitons-nous que l'internaute devienne un citoyen actif capable de créer et d’échanger ou seulement un téléspectateur/consommateur ? Tant que le débat sur l'Internet ne fera pas l’objet d’une véritable confrontation de projets de société, les acteurs publics prendront le risque du « laisser faire » qui conduit actuellement à la marchandisation du réseau. Ce qui pourrait au passage « stériliser » l’espace public d'échange de l’Internet. A ce titre le consensus politique qui règne aujourd'hui en France sur le déploiement du haut débit masque les questions de fond sur les usages et l’appropriation des technologies. Ces technologies haut débit pourraient en effet, si nous n'y prenons garde, être l’un des vecteurs de la « télévisualisation » de l’Internet.

 

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